Retour sur le libre-échange "le booktubeur et le bibliothécaire"

Vendredi 16 octobre 2015 à Privas, une rencontre entre booktubeurs et bibliothécaires a été organisée par la Bibliothèque départementale de l'Ardèche en partenariat avec l'Arald. Ce libre-échange a permis de confronter les pratiques de médiateurs du livre professionnels et amateurs et d'échanger autour de la notion de prescription et de partage. Retour sous forme de compte rendu.

Le programme complet de cette journée est accessible sur cette page : http://www.arald.org/articles/le-booktubeur-et-le-bibliothecaire.

"Booktube", de quoi parle-t-on ?

Le terme booktube provient de la contraction des deux mots anglais « Book » (livre) et « Youtube » plate-forme de vidéos en ligne. Il désigne un phénomène apparu il y a quelques années aux États-Unis, et qui est récemment arrivé en France : la chronique et critique littéraire réalisée en vidéo. Les booktubeurs sont généralement des amateurs mordus de livres qui souhaitent partager leurs lectures, leurs coups de cœurs, leurs trouvailles littéraires sur le web. Cette nouvelle forme de prescription, décalée et interactive, est révélatrice des nouveaux modes d'accès à la culture. Certains booktubeurs, aux États-Unis, sont d'ailleurs suivis par des centaines de milliers de personnes.

Le monde du livre découvre le phénomène Booktube

En novembre 2014, les Assises du livre numérique mettent en lumière auprès des professionnels du livre ce phénomène alors émergent :

Le caractère amateur de ces vidéos a toute son importance. Il est garant de la simplicité du message et de la sincérité du lecteur, mais aussi du partage intime de son amour pour les livres. Souvent, d’ailleurs, les vidéos sont tournées dans le lieu de lecture qu’est la chambre. Certains booktubeurs utilisent également les codes du one-man-show de la Webvidéo comme Norman. Tous prennent pleinement en compte les commentaires des spectateurs de leurs vidéos. Il s’agit bien d’un échange humain davantage que professionnel.
(Extrait de la synthèse accessible en ligne ici)

À lire également : « Booktube : les lecteurs font des vidéos », article de Louis Wiart pour le PILEn (Partenariat interprofessionnel du livre et de l'édition numérique).

La communauté des booktubeurs

Au-delà de l'échange entre les booktubeurs et les internautes à travers les commentaires et les différents réseaux sociaux, une véritable communauté s'est créée entre booktubeurs, avec ses codes et son vocabulaire dont voici quelques exemples :

  • La « PAL » : la « pile à lire » correspond aux livres que le booktubeur prévoit de lire prochainement ;
  • Le « BookHaul » : le « butin livresque » est l'ensemble des livres que le booktubeur vient d'acquérir ou de recevoir et qu'il présente dans une vidéo ;
  • L'« unboxing » : le « déballage » est une vidéo dans laquelle le booktubeur ouvre un colis de livres en direct ;
  • Le « wrap-up » : le « bilan » est un récapitulatif mensuel des lectures du booktubeur ;
  • La « wishlist » : la « liste de souhait » de lectures du booktubeur ;
  • Le « swap » : un échange de colis entre deux booktubeurs, généralement autour d'un thème et d'un budget définis à l'avance ;
  • Le « trailer-reaction » : la réaction en directe et en vidéo lors du visionnage d'une bande-annonce de l'adaptation cinématographique d'un livre.

Plus d'informations sur le langage des booktubeurs (et des blogueurs littéraires) avec la vidéo de la booktubeuse Nine : https://www.youtube.com/watch?v=pShBSvTnlS4.

Le "booktubeur" et le bibliothécaire :

Par sa spontanéité et son aspect non professionnel, le phénomène du « booktube » interroge les médiateurs du livre. Cette nouvelle forme de critique peut-elle s'inscrire dans les modes de prescription traditionnels du livre ? Le booktubeur a t-il connaissance et conscience du fonctionnement du secteur du livre ? Comment travailler ensemble ?

Le libre-échange du 15 octobre 2015 à Privas, rassemblant des booktubeurs et des bibliothécaires mais aussi une libraire et une lectrice, a questionné ces nouvelles interactions entre professionnels du livre et passionnés prescripteurs.

Quelle prescription pour quel objectif ?

Les booktubeurs considèrent cette pratique comme un moyen de partager leur passion. La lecture est bien entendu leur passe-temps favori et la réalisation des vidéos qui s'en suit est amatrice. Il n'y a pas de « pression » pour faire une vidéo. C'est avant tout une envie. C'est pourquoi chacun adopte une fréquence toute personnelle (de plusieurs vidéos par semaine à quelques vidéos par mois) ainsi qu'un ton qui lui est propre. La ligne éditoriale se dessine donc naturellement en fonction les genres littéraires lus et appréciés du booktubeur.

A contrario, la Bibliothèque départementale de l'Ardèche construit, mensuellement, des bibliographies thématiques à destination des bibliothécaires de son réseau. Celle-ci développe des thèmes précis qui s'inscrivent dans les problématiques sociétales actuelles. Si cette ligne éditoriale et professionnelle est donc beaucoup plus stricte, elle témoigne d'un engagement social et citoyen de la part de la structure publique. Les choix sont, ici, engagés pour la communauté.

Différentes formes de médiation

Le bibliothécaire interroge son public et son territoire d'implantation pour amener le lecteur à découvrir des œuvres. Le booktubeur propose ce qui lui plaît et laisse la communauté se constituer, par affiliation, autour de lui. Le lien entre professionnels et amateurs autour de cette forme de prescription (la vidéo en ligne) n'est pas hermétique. De nouvelles pistes de médiation ont ainsi été envisagées :

  • développement d'une chaîne Youtube dans une bibliothèque ;
  • connexion du catalogue en ligne à des liens vidéos de booktubeurs ;
  • organisation de rencontres avec des booktubeurs.

Si les professionnels du livre se posent notamment la question de la légitimité à accorder à une critique amateur telle qu'une vidéo booktube, ce phénomène montre bien la perméabilité de la pratique professionnelle vers la pratique d'amateur où les codes laissent place à l'informel dans un but social.

Et le livre numérique, dans tout ça ?

Si les pratiques du booktube sont naturellement basées sur la numérisation des pratiques culturelles à travers le web 2.0, les booktubeurs présentent pourtant toujours des livres en papier dans leurs vidéos. Nine, Tartinne aux pommes et Treky – les trois booktubeurs présents lors de cette rencontre – parlent tous les trois de leur attachement au livre « papier ». Les deux booktubeuses lisent tout de même majoritairement en numérique, sur liseuse, tout en continuant d'acheter des livres imprimés ; pour elles, ces deux pratiques sont compatibles et ont des aspects complémentaires. Pour Treky, le livre imprimé permet de s'éloigner des écrans le temps de la lecture.
Ces grands lecteurs, hyper-connectés, témoignent des évolutions du marché du livre qui laissent entrevoir, peu à peu, une complémentarité de l'offre imprimée et de l'offre numérique.

Les bibliothèques développent d'ailleurs leurs offres de livres numériques. La Bibliothèque départementale de l'Ardèche propose désormais plus de 800 titres de romans au format ePub aux abonnés des 234 bibliothèques de son réseau. Plus d'informations sur le site internet de la BDP.

(Re)voir la rencontre

  • Le live-tweet de l'Arald, avec le mot-dièse « Booktube » : compte twitter de l'Arald
  • La vidéo de la rencontre, accessible en streaming et bientôt disponible à nouveau (montage en cours) : www.lecture.ardeche.fr
  • Le booktubeur et le bibliothécaire est un titre emprunté à un billet de blog de Nicolas, bibliothécaire et blogueur (Lire l'article).